Me Vignon, la voix des enfants
Philippe Vignon les reçoit seul dans son bureau, les prépare à un procès toujours éprouvant. L’avocat défend les enfants abusés et maltraités.
Dans les salles ampoulées des tribunaux, c’est son verbe ferme qui porte leur drame. Abusées, délaissées, agressées… Des voix fragiles auxquelles Philippe Vignon substitue son éloquence. Des enfants abîmés par la vie dont le conseil départemental représente les intérêts, à la place des parents. Juridiquement, l’avocat agit pour cet administrateur ad hoc. Dans les faits, « mes clients, ce sont les enfants » aime à répéter le bâtonnier qui reçoit deux à trois dossiers de ce type par semaine des quatre coins de l’Aisne. Des nourrissons aux adolescents, il est leur voix dans les cours d’assises comme en correctionnelle.
Vous répétez que vos clients, ce sont les enfants. Concrètement comment ça se traduit ?
Tout d’abord, je reçois le mineur seul dans mon bureau. J’y suis très attaché. Je lui explique que je suis son avocat propre, que ce qu’il me dira je ne le répéterai pas, ni aux éducateurs ni à la famille. Symboliquement, je lui remets ma carte avec mon numéro, il peut m’appeler et me voir quand il veut. J’insiste sur le fait que je suis là pour le défendre, mais qu’il n’a rien fait de mal.
Face à des enfants traumatisés, comment évoquez-vous les faits ?
Je vois avec lui, jusqu’où je peux aller. Selon la facilité de compréhension et d’expression, je peux recevoir des enfants dès 4-5ans. J’ai déjà eu connaissance des dossiers, des expertises et des rapports les concernant. On commence par parler des copains, de l’école, si tout se passe bien dans la famille d’accueil. Au cours des entretiens suivants, je lui explique la procédure. Qu’il va être entendu par le juge d’instruction, qu’il y aura une petite caméra, que je serai là. Pour les faits, il faut choisir les mots. C’est difficile de parler des faits, car c’est quelque part les faire revivre à l’enfant. On réactive les souffrances, les cicatrices… Souvent, ils me disent, mais je l’ai déjà dit. Je dois leur expliquer que ce n’est pas parce qu’on ne les croit pas qu’on les fait répéter, mais parce que c’est obligatoire.
Comment les préparez-vous au procès ?
Je les reçois un mois avant la date. Je leur dis que c’est important que les juges, les jurés les voient. Souvent le mineur a peur de revoir l’auteur des faits. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est une bonne chose pour lui. Souvent, il a l’image du mis en cause dans sa toute-puissance d’agresseur. Voir cette personne toute péteuse, balbutiant, cherchant du soutien du regard… ça dégonfle le préjudice. C’est essentiel.
Répétez-vous leur audition ?
Non, je crois en la spontanéité du discours, ne serait-ce qu’en termes de crédibilité. L’affaire d’Outreau qui a posé beaucoup de questions sur la parole de l’enfant, a au moins permis de mettre fin au fait que les experts devaient s’exprimer sur la crédibilité de l’enfant (…) La crédibilité, elle va résulter de l’affect exprimé. Je ne fais pas relire les déclarations. Vous savez, ceux qui ont vécu ce genre d’agression, s’en souviennent.
J’imagine qu’il faut gérer le sentiment de culpabilité de l’enfant.
Oui. L’enfant est souvent dans l’ambivalence vis-à-vis de l’abuseur. Un agresseur n’est pas qu’agresseur, il peut en même temps être attentif, agréable avec lui. Contrairement aux adultes, le mineur n’a pas de volonté de vengeance. Il parle, dans quel intérêt ? Un, pour que ça s’arrête. Deux, pour qu’on le croie.
Et puis, je veux que mon intervention ne soit pas en décalage avec les déclarations de l’enfant. Dans mes plaidoiries, j’en tiens compte. D’ailleurs, on ne réclame pas forcément la prison à tout prix. Si l’enfant me dit, je veux que la faute soit reconnue, mais je ne veux pas qu’il aille en prison, j’adapte ma plaidoirie. Nous, parties civiles, nous ne sommes pas là pour réclamer des peines, ça, c’est le boulot du parquet. La question se pose aussi pour la déchéance de l’autorité parentale. Mais là intervient l’intérêt supérieur de l’enfant. J’évoque aussi avec les plus âgés la question des dommages et intérêts.
Comment faites-vous pour ne pas vous laisser submerger ?
Bien sûr que je suis touché. On ne reste pas insensible, d’ailleurs il ne le faut pas car pour transmettre une émotion il faut soi-même en ressentir. Mais je dois trouver la juste distance. Ensuite, il y a un lien de confiance qui s’établit d’autant qu’on parle de l’intimité. Je ne revêts pas les habits d’assistante sociale ou psychologue. Pour ça, je peux m’appuyer sur les professionnels et encadrants du conseil départemental.
Pourquoi êtes-vous opposé au huis clos ?
On dit le huis clos, ça protège les victimes. C’est faux. Le huis clos ça protège l’agresseur. Je n’ai jamais varié là-dessus. Et puis, cela reproduit le huis clos familial, le huis clos de l’agression… L’enfant n’a rien à se reprocher.
L’audition de l’enfant peut s’avérer à double tranchant durant un procès ?
Non. Globalement, l’audition se passe bien. C’est un moment important. Ça reste extrêmement difficile, car chargé en émotion pour le mineur. Je dois reconnaître que les magistrats se sont améliorés comme les enquêteurs et tout un chacun dans leur faculté à recevoir la parole de l’enfant. Quant aux confrères, qui mèneraient un interrogatoire serré, les traitant de menteurs, je suis leur bouclier.